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Emmanuel Carrère



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Emmanuel Carrère, héros lunaire

Justine Boivin

Ecrivain reconnu, scénariste et réalisateur aussi, Emmanuel Carrère a été sacré par le Renaudot, pour son fascinant «Limonov». Parcours d'un auteur qui exorcise ses démons, avec succès.

Enfant gâté, fan de fantômes

Des yeux malicieux, un sourire gracieux, des sillons abyssaux en guise de rides d'expressions, Carrère marque. Il est un raconteur d'histoires, un génie de l'agencement d'intrigues. Le visage du sage, la plume acerbe de l'éditorialiste, il n'a pas son pareil pour s'emparer de la vie des autres, témoigner de leurs drames, de leur humanité.

Fiston choyé de l'Académicienne et narratrice distinguée des intrigues du Kremlin, Hélène Carrère d'Encausse, Emmanuel voit le jour le 9 décembre 1957, à Paris. Deux sœurs, une niania (nounou), une enfance dorée dans le XVIe, des études à Janson-de-Sailly puis à Sciences-Po, cet intello policé lit Proust et Tchekhov. Mais se fascine en cachette, pour un autre genre de littérature: la science-fiction.

Dandy de bonne famille, il est aussi un cinéphile averti, amateur de Scorsese, Kubrick et Coppola.

La paranoïa, le basculement de l'ordinaire dans l'étrange, jusqu'à l'obsession, est ce qui va fonder le registre de Carrère.

Homme de Lettres et Septième Art

Après son service militaire dans la coopération, en Indonésie, il rédige un mémoire sur l'uchronie (l'utopie appliquée à l'Histoire). Don pour l'écriture, passion pour les salles obscures, «état dépressif» revendiqué, il devient «critique de cinéma», rédige des chroniques pour la revue Positif et le magazine Télérama. Il traîne dans des chambres d'hôtel, s'accroche à des relations bancales, tergiverse... Epargné par le malheur, Carrère le cultive. La douleur des individus l'inspire, le stimule. Il se penche sur des cas détraqués car ses inquiétudes sont dérisoires.

Jamais fauché, jamais menacé, c'est un nanti des sentiments, le possesseur d'une richesse inestimable, ravagé par l'anxiété de la perdre. Son premier roman, «L'Amie du Jaguar», est publié chez Flammarion en 1983, les suivants sortiront chez P.O.L.

Sa carrière commence vraiment avec «Bravoure», fondé sur le mythe de Frankenstein, (1984). Elle s'envole avec «La Classe de neige», Prix Femina en 1995 puis Prix du jury à Cannes en 1997 dans son adaptation à l'écran par Claude Miller. En 2000, il publie «L'Adversaire», qui sera mis en scène par Nicole Garcia. Carrère refuse de se laisser enfermer dans une routine, un genre. Il transforme l'angoisse en art. Transgresse. Dans «Un Roman Russe», il confesse «avoir reçu en héritage, l'horreur, la folie et l'interdiction de les dire». C'est, en opposition, quelqu'un qui raconte l'intime, à ses risques et périls.

En 2003, il propose un premier film, «Retour à Kotelnitch». Fruit d'une commande d'Envoyé Spécial, ce documentaire relate le quotidien d'un prisonnier de guerre hongrois, oublié à 55 ans, dans un hôpital psychiatrique. Carrère transforme l'essai en thriller haletant, une enquête socio-policière sur fond de meurtre et de réflexion sur l'identité.

En 2004, Carrère réalise également «La Moustache», un opus kafkaïen, déroutant, dans lequel Vincent Lindon bascule dans le cauchemar pour une touffe de poils. En 2010, Carrère est membre du jury du Festival de Cannes présidé par... Tim Burton !

Force obscure

Souffrance psychologique, blocages névrotiques, goût de la dissimulation, Carrère expose ses penchants morbides et destructeurs pour mieux lutter contre eux. Son exhibitionnisme littéraire correspond à une quête de moralité.

Certes, Carrère ramène les choses à lui, assume une forme de vanité. Mais il ne se gargarise pas, ne s'enivre pas, ne se peopolise pas. Il cherche la vérité, la profondeur. L'exactitude est son moteur.

Il se décrit, se dénonce, se vend, pour libérer son inconscient, persuadé d'être l'assassin de sa nourrice car il a refusé de lui obéir et l'a repoussée, une fois. Il balance entre le zen et l'amer, traque le suspense, les coïncidences. Un jour, il jette un pavé au nez de sa mère, en couchant sur papier la honte, le secret bien gardé: son grand-père a été exécuté en 44 pour faits de collaboration. Une autre fois il publie dans les colonnes du Monde une nouvelle érotique, en pensant qu'elle va agir sur sa relation amoureuse. Un échec.

Métamorphose

La mort passe par là. Le tsunami emporte une gamine, sous ses yeux. Le cancer ronge sa belle-sœur. Flot de souffrances, de chagrins, Carrère affronte (enfin) la maladie, le deuil, modifie ses perspectives, ses valeurs. Il veut vieillir auprès de celle qu'il aime.

Papa de deux grands garçons de 20 et 24 ans (d'une précédente union), il a eu une petite fille de sa compagne qu'il vénère, Hélène Devynck, journaliste sur i>Télé.

Depuis la sortie de D'Autres Vies que la Mienne, le maître du récit d'épouvante est rasséréné. Emmanuel Carrère est devenu un chef de famille attentionné. Il a conjuré la fatalité.

Le douzième roman d'Emmanuel Carrère, déjà couronné par le prix de la Langue française, trace le portrait de Limonov, «voyou en Ukraine, idole de l'underground soviétique sous Brejnev, clochard, puis valet de chambre d'un milliardaire à Manhattan, écrivain branché à Paris, soldat perdu dans les guerres des Balkans, et maintenant, dans l'immense bordel de l'après-communisme en Russie, vieux chef charismatique d'un parti de jeunes desperados», le parti national-bolchevik. Une réussite.

Un prix mérité

«Lui-même se voit comme un héros, on peut le considérer comme un salaud. Je suspends pour ma part mon jugement», a réagi le lauréat qui se met aussi en scène dans son livre.

«C'est une élémentaire politesse à l'égard du lecteur de lui dire pourquoi je parle de cet homme, quels sont mes doutes», précise Emmanuel Carrère, qui oscille sans cesse entre admiration et répulsion, comme le lecteur. «Ce qui me touche chez Limonov, dit-il, c'est son enfance et qu'il ait passé toute sa vie à tenter de réaliser ses rêves. Très tôt, il s'est dit qu'il serait un aventurier».


«Journal Des Femmes», 03.11.2011

Eduard Limonow

Original:

Justine Boivin

Emmanuel Carrère, héros lunaire

// «Journal Des Femmes» (fr),
03.11.2011